Mérimée et les ossuaires bretons
(A propos de l'ossuaire de la chapelle Sainte Barbe à Plonévez-du-Faou - 1558)
Adossée au portail
méridional, on remarque une petite construction bien lourde, dont les
chapiteaux ioniques et la forme prétentieuse annoncent un ouvrage contemporain
de Louis XIV. C'est le reliquaire de l'église. Je dois expliquer ce que c'est
qu'un reliquaire en Bretagne et quelle est sa destination.
Une pratique fort
étrange règne dans cette province. Les parents d'un mort le font exhumer au
bout de quelques années, lorsqu'ils croient que la terre a absorbé ses chairs
décomposées. Les os recueillis sont alors rejetés dans un petit bâtiment
construit ad hoc auprès de l'église; c'est la relique pour la mettre dans une
boîte, et la placer dans un lieu apparent de l'église, avec cette inscription
: « Ci-git le chef de N. »
Il est
impossible d'imaginer rien de plus repoussant que ce monceau d'ossements
blanchis, jetés pêle-mêle au milieu des orties qui poussent toujours en
abondance dans les reliquaires. Bien souvent un zèle empressé n'attend pas
l'entier dépouillement du squelette, et des lambeaux de chairs puantes
attirent les chiens que personne ne prend soin de chasser. D'ailleurs ces
ossuaires n'inspirent aux paysans ni dégoût ni respect. J'en ai vu plusieurs
s'y abriter de la pluie, d'autres y manger; quelques-uns attendaient que
j'eusse passé pour y faire l'amour avec leurs maitresses.
Je ne sais à quelle
époque remonte ce détestable usage; mais je n'ai pas vu un seul reliquaire de
construction ancienne, un seul, par exemple, qu'on pût rapporter à la période
gothique. Dans les villes un peu considérables, ces charniers sont des
dépendances des cimetières, et n'offensent pas la vue des passants et des
dévots comme dans les villages; mais il y a peu d'églises où l'on ne trouve
des chefs.
Prosper Mérimée - Notes d'un voyage dans l'Ouest de la France, extrait d'un rapport adressé à M. le Ministre de l'Intérieur - 1836
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