Daniel Neuberger : Rigodon macabre pour Ferdinand III

Le Kunsthistorisches Museum de Vienne présente jusqu'au 9 juin 2025 la première exposition jamais consacrée au sculpteur sur cire Daniel Neuberger (Augsbourg 1621 - 1680 Rastisbonne) sous le titre : Wachs in seinen Händen. Daniel Neubergers Kunst der Täuschung (De la cire entre ses mains. L'art de la tromperie de Daniel Neuberger). Le céroplasticien baroque est enfin mis à l'affiche.

L'une des oeuvres exposées, Der Tod Kaiser Ferdinands III. als Sinnbild der Vergänglichkeit (La mort de l'empereur Ferdinand III comme symbole de fugacité) souffrira peut-être de son titre ampoulé et de son petit format (26 x 36 cm hors cadre), mais ce sera l'occasion pour les amateurs de l'admirer après restauration... maintenant que tous les squelettes ont recouvré leurs membres et, pourquoi pas, d'en faire un support de méditation pour les CEO qui ont un compte sur Linkedin.

Vue de l'exposition. Crédit KHM Wien

 

Bien que les sources accessibles au commun des mortels n'offrent pas de citations directes concernant l'œuvre de Daniel Neuberger, Der Tod Kaiser Ferdinands III. als Sinnbild der Vergänglichkeit, il est cependant possible de contextualiser cette œuvre en se référant à des analyses générales sur l'art funéraire et les représentations de la mort au XVIIe siècle.

 

Daniel Neuberger - La mort de l'empereur Ferdinand III. comme symbole de fugacité - Kaiserliche Schatzkammer Wien
© KHM-Museumsverband

 

La Mort de l’Empereur Ferdinand III comme Allégorie de la Fugacité : Une analyse de l’Œuvre de Daniel Neuberger

Der Tod Kaiser Ferdinands III. als Sinnbild der Vergänglichkeit de Daniel Neuberger constitue une représentation hautement symbolique de la mort et du passage du temps. Conçue en cire, elle met en scène l’empereur Ferdinand III dans une composition qui conjugue réalisme sculptural et imagerie allégorique. À travers une mise en scène macabre, Neuberger s’inscrit dans la tradition des Vanités et des danses macabres, genres artistiques visant à rappeler aux spectateurs l’inéluctabilité de la mort et la futilité des honneurs terrestres. Ce billet propose une ébauche d'analyse de la structure et du symbolisme de l’œuvre, ainsi que de son inscription dans le contexte artistique et idéologique du XVIIe siècle.

1. Une Composition Théâtrale au Service de l’Allégorie

Au centre de l’œuvre repose la figure impériale de Ferdinand III, vêtu d’une armure noire, couronné et enveloppé d’un manteau impérial. Son corps est allongé sur un catafalque richement décoré, tenu aux coins par des aigles dorés, symboles du pouvoir impérial. Ses mains jointes sur sa poitrine tiennent un crucifix, affirmant ainsi son attachement à la foi chrétienne.
L’ensemble de la scène est placé dans un espace cryptique, où les parois rocheuses sont ornées de guirlandes chatoyantes. Ce contraste entre la lumière artificielle des décorations et la pâleur des figures osseuses accentue la tension dramatique de la composition, soulignant la vanité des apparences face à la réalité inéluctable de la mort.
 
Der Tod Kaiser Ferdinands III. als Sinnbild der Vergänglichkeit (Detail)
Daniel Neuberger (1621–1680)
Wien, um 1660
Wachs, Blei, Holz, Glas, Muschel, Trockenblumen, Pergament
Kaiserliche Schatzkammer Wien
© KHM-Museumsverband

 

2. La Danse Macabre : Symbolisme et Références à la Fugacité

L’un des éléments les plus remarquables de l’œuvre est la présence de neuf squelettes entourant l’empereur, exécutant une véritable danse macabre. Ce motif, hérité de la fin du Moyen Âge, exprime l’idée selon laquelle la mort frappe sans distinction toutes les classes sociales, y compris les figures de pouvoir.
Chaque squelette incarne une dimension spécifique de la fugacité humaine :
Le squelette tenant une torche éteinte symbolise la fin de la vie. Ce motif est courant dans les représentations baroques où la lumière, souvent associée à l’existence, s’oppose à l’obscurité de la mort.
Le squelette soufflant des bulles de savon illustre les plaisirs terrestres éphémères, une métaphore reprise dans de nombreuses Vanités peintes ou gravées du XVIIe siècle.
Le squelette appuyé sur un sablier renvoie directement à la temporalité et à la finitude inévitable de l’existence humaine.
Le squelette ployant sous les insignes du pouvoir impérial – la couronne, le sceptre, l’orbe, l’épée et le manteau – souligne le poids de la charge impériale et la vanité des titres et des distinctions dans l’au-delà.
Les autres squelettes, musiciens ou adoptant des poses de deuil, complètent cette mise en scène en apportant une dimension à la fois tragique et théâtrale à la composition.
 
Der Tod Kaiser Ferdinands III. als Sinnbild der Vergänglichkeit (Detail)
Daniel Neuberger (1621–1680)
Wien, um 1660
Kaiserliche Schatzkammer Wien
© KHM-Museumsverband

 

3. Mort et Espérance : Une Lecture Chrétienne de l’Œuvre

Selon Engerer, 'Fundamental für die Lebensführung des Kaisers war freilich eine ungeheuchelte Frömmigkeit' (Une piété sincère était au coeur du mode vie de l'Empereur). Si l’œuvre semble insister sur la nature inéluctable de la mort et sur la vanité du pouvoir terrestre, elle introduit également un message d’espérance. Une banderole portant l’inscription "VIVIT" ("il vit") flotte au-dessus du souverain, suggérant une référence à la résurrection et à la vie éternelle. Ce détail inscrit l’œuvre dans la pensée chrétienne de l’époque, où la mort n’est pas seulement une fin, mais une transition vers une existence spirituelle transcendante.
Ainsi, au-delà d’une simple méditation sur la mort, l’œuvre de Neuberger engage une réflexion plus large sur la destinée humaine et sur la possibilité du salut. Cette dialectique entre la finitude terrestre et la promesse d’une immortalité spirituelle est particulièrement caractéristique de l’art baroque, qui cherche à concilier la matérialité de la mort avec une perspective eschatologique.

4. Une Œuvre Inscrite dans le Contexte Artistique et Culturel du XVIIe Siècle

L’œuvre de Neuberger s’inscrit pleinement dans les préoccupations artistiques et philosophiques du XVIIe siècle, marqué par les guerres, les épidémies et une conscience accrue de la fragilité humaine. La danse macabre et les Vanités connaissent alors un regain d’intérêt, notamment dans le Saint-Empire romain germanique, où la Guerre de Trente Ans (1618-1648) a profondément marqué les esprits.
La technique de la sculpture en cire, utilisée ici avec une grande maîtrise, permet un rendu d’un réalisme saisissant, notamment dans le portrait de l’empereur. Ce matériau, souvent employé pour des représentations funéraires ou votives, renforce l’effet de naturalisme et de proximité avec la mort.
De plus, cette œuvre participe à la tradition des effigies funéraires impériales, qui visaient à exalter le pouvoir des souverains tout en intégrant des éléments de méditation religieuse sur la mortalité. En cela, Der Tod Kaiser Ferdinands III. als Sinnbild der Vergänglichkeit se distingue par son équilibre subtil entre glorification impériale et message moralisateur sur la vanité des grandeurs terrestres.
 
The Death of Emperor Ferdinand III as an Allegory of Transience (Detail)
Daniel Neuberger (1621–1680)
Wien, um 1660
Kaiserliche Schatzkammer Wien
© KHM-Museumsverband

 
L’œuvre de Daniel Neuberger illustre de manière exemplaire l’esthétique baroque et ses préoccupations centrales : la tension entre vie et mort, pouvoir et humilité, temporalité et éternité. À travers une mise en scène minutieusement élaborée, elle offre une réflexion sur la condition humaine et le destin des souverains, tout en s’inscrivant dans un contexte artistique et intellectuel où la mort est à la fois objet de crainte et de transcendance.
En conjuguant virtuosité technique et richesse symbolique, Neuberger parvient ainsi à produire une œuvre d’une grande force expressive, où la finitude terrestre est sublimée par la promesse d’une immortalité spirituelle.
 
Robert NIEMAND-LAVIGUE (avec le service de presse du KHM Wien pour les photos), février 2025 
 
Petite bibliographie aléatoire :
 
Maeve McGrath - Daniel Neuberger the younger and Anna Felicitas Neuberger : the ceroplastic oeuvres 1621-1680 and 1650-1731 ( Regensburg : Schnell + Steiner, 2016)
 
Vanités d'Amsterdam - L'iconographie des bulles de savon dans les vanités
 
 
 
Wikipedia - Wax sculpture (en anglais) 
 
 
 
Autoportrait de l'artiste (Detail)
Daniel Neuberger (1621–1680)
Wien, um 1660
© Landeshauptstadt Hannover, Museum August Kestner
Fotograf: Detlef Jürges
  
 
BONUS VIDEO : LA RESTAURATION DE L'ALLEGORIE. 



 

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