SERLON DE BAYEUX - Défense pour les fils de prêtres

 

 Pour une raison que je ne m'explique pas, le média des élites éduquées ne consacre aucune émission régulière aux satiristes anglo-latins du 12ème siècle, ce qui fait que le populo au nom duquel ils parlent en permanence est laissé dans une crasse ignorance des réalités de la culture.

Serlon de Bayeux connaissait bien son sujet, puisqu'il était lui-même fils de prêtre, d'où un poème qu'on peut aussi lire comme un plaidoyer pro domo. Derrière tout satiriste, même clérical, il y a un moraliste. Serlon de Bayeux, n'échappe pas à la règle et me permet de flatter ma précieuse clientèle pieuse qui carbure à la moraline.

Comme je n'ai pas trouvé de portrait de Serlon, je le remplace par celui d'un fils de presque prêtre, celui de Nithard, fils illégitime de Berthe (une fille de Charlemagne) et d'Angilbert (abbé, certes laïque, de Saint-Riquier).

 

 


 

SERLON DE BAYEUX - Defensio pro filiis presbyterorum


Défense pour les enfants des prêtres


Roi immortel, combien de temps encore ces enfants
Engendrés par des prêtres seront-ils la risée du monde ?
Qu'ont-ils fait pour mériter de souffrir, quels que soient leurs parents,
Si leur vie est pure ?
Quel est donc ce nouveau jugement, ce droit étrange
Qui accable les innocents, alors que la grâce purifie
Toutes les fautes, et que la source sacrée les lave ?
Que le juge sévère se tempère,
Apprenne à fléchir et, se souvenant du droit, se repente !

Celui que lave la fontaine sacrée est purifié en totalité
Par la grâce, ou bien ce lavement n'est pas complet.
Vous qui débattez de ces choses et proclamez des nouveautés,
En établissant ces lois inédites, vous annulez le droit du baptême.

Législateurs, pesez les mœurs des hommes
Et les règles de vie, et établissez ce qui est juste !
Que chacun porte le poids de son propre péché,
Et qu'aucun enfant ne soit condamné pour la faute de son père.

Mon esprit erre et s'égare complètement :
Est-il juste qu'un crime étranger me ferme les portes du paradis ?
Me condamnez-vous à être exclu de la série des clercs,
Moi qui suis destiné à rejoindre les chœurs des séraphins dans la cité céleste ?
Vous vous trompez complètement, gens dénués de raison.

Si les Écritures s'effondrent et que les paroles de Dieu reculent,
La règle de l'Écriture ne sera plus ma préoccupation.

Vous qui rejetez tant d'enfants placés dans la demeure céleste,
Auriez-vous tourné le dos à la Loi divine, si vous aviez douté ?
Et maintenant, vous stigmatisez comme infâmes, à cause des fautes des pères,
Ceux que le palais du ciel accueille ? N'osez pas supposer une telle chose !

Les enfants dont Dieu lui-même est le père,
Et dont la grâce est la mère,
Ne sont pas nés d'une génération honteuse.

Ne me reprochez pas les fautes de mon père ni le lit de ma mère,
Mais considérez la rectitude de mes mœurs,
Et la ligne de ma vie ! Alors, sans litige,
J'accepterai votre jugement, même s'il est sévère,
Pourvu qu'il repose sur les fautes de mes actes.

Mais aujourd'hui, des hommes de vie honteuse – fornicateurs, sodomites,
Et ceux qui commettent des vols – nous insultent
Ou méprisent ceux qui vivent bien et ceux qui sont mal nés.
Cette loi oppresse les bons et élève les mauvais.

Pourquoi l'homme déshonore-t-il celui que le Roi suprême honore ?
Pourquoi rejeter celui que le Christ a racheté par sa mort
Et appelé à devenir cohéritier du Père dans sa demeure ?

Ceux qui ne font rien de bon,
Ont-ils mérité d'échapper à la mort éternelle
Simplement parce qu'ils sont nés légitimement ?
Quel est donc le fondement de cette règle ou de ce jugement
Qui prive un mal-né de sa place, si sa vie est juste ?

Si vous persistez et refusez de considérer le droit,
Vous qui inventez de nouvelles lois et imposez des règles amères,
Et que vous nous mordez ainsi, commencez par détruire ces souillures
Qui causent plus de mal et s'éloignent davantage de la Loi !

Pourquoi une peine n'accable-t-elle pas lourdement les sodomites ?
Cette forme de maladie, qui menace le monde d'une mort grave,
Aurait dû, si les choses allaient bien, être extirpée en premier lieu.

Celui que le crime endurcit,
Qui se moque des anathèmes,
Qui retire au clergé ses droits sans aucun contrôle,
Devrait être repris, si l'ordre sacré avait quelque poids.

Quelle partie du monde,
Ignorant l'art de Simon (la simonie),
Ne connaît pas ta réputation ?
Vers quel ordre cette affaire s'oriente-t-elle ?
Tu t'attardes sur des détails mineurs, mais négliges les choses les plus importantes.

Si tu veux suivre correctement ce que la nature et l'équité exigent,
Corrige d'abord les fautes les plus graves, puis les moindres.
Et maintiens cette règle : je te crois excessif.
Cependant, par ton décret, tu imposes cette règle :
"Si quelqu'un revêt l'habit monastique, il efface
Les taches de cette honte grâce à cet habit monastique."

Que pourra donc faire un changement de vêtement,
Toi, fléau virulent,
Que le sacrement du baptême ne pourrait accomplir ?
En enseignant cela au clergé, tu suis une voie déclinante.
Je ne crois pas que la noirceur d'un tissu
Soit lavée plus efficacement que les souillures d'un coupable
Par la vertu de la fontaine sacrée.

Cela montre clairement où tend ton jugement :
Tu cherches à retirer à l’Église
Sa fleur la plus précieuse,
Et, par ce moyen, tu veux anéantir
Le chœur des chanoines,
Cédant tout à la foule des moines,
Rejetant ce qui doit être pris à ceux qui sont réprouvés.

Frères, regardez ce que font les saints Pères !
Cette loi impie nous place dans la gueule des loups,
Alors que la protection des moines d’un ordre rigoureux
Aurait dû mettre fin à leurs violentes rapines.

Les censeurs de Rome,
Dont l’action critique les mœurs,
Croient trop tirer profit de leurs offenses contre nous.
Quand ils nous déshonorent, ils s’honorent eux-mêmes avec force,
Et veulent que la gloire des Pères croisse
Au détriment de la honte des frères.

Ceux qui sèment de telles paroles,
Et cherchent à magnifier leur propre honneur
En nous plongeant dans la boue,
Par quel artifice de fraude accumulent-ils sur eux
Un poids de louanges ?
Ils ne sauraient se recommander autrement
Qu’en nous reprochant.
Je ne crois pas qu’un tel comportement soit spirituel.

Père suprême, tu sais combien il est vrai
Que l’orgueil est la mère de ce décret ;
Interdis qu’il dure longtemps !

Ceux qui nous ont précédés n’avaient aucune intelligence ;
S’ils avaient eu quelque sagesse, ils auraient établi la même chose que nous !
Mettons donc ceux-ci au-dessus des premiers, et honorons-les,
Car ils ont discerné ce qui était caché aux anciens.

Un nouvel éclairage, récemment tiré d’une source profonde,
Nous illumine désormais ; admirons l’acuité de Rome !
Ces hommes sages, venant d’en haut,
Auraient traversé les Alpes en vain
S’ils n’avaient rien établi.

Un rituel jamais entendu auparavant doit dépasser tous les autres,
Et il convient que la sagesse débordante fonde des nouveautés."**

Cependant, pour ce peuple si saint, si sage,
Si quelqu’un vient offrir des dons
Et cherche à obtenir son pardon,
Parce qu’il est condamné pour être né sans faute,
Ou parce que son propre péché lui ferme la porte sacrée,
Il trouvera les Romains indulgents, changeant la loi :
Ils seront fléchis par le don, compatiront avec le donateur,
Auront un front doux et abandonneront ce qu’ils avaient établi.

Il est insensé
Celui qui espère obtenir d’eux quelque chose sans paiement.

Quand seule la prière est tentée, et que les dons ne sont pas offerts,
Ce qu’ils ont décidé est maintenu ferme et inviolable.

La foule des sénateurs – nous connaissons bien leurs mœurs –
Vend tout ce qui existe et cherche le profit en tout,
Se montrant doux envers les riches, mais incapable de pitié pour les pauvres.

Pauvre pécheur,
Que le Seigneur soit miséricordieux envers toi !
Chaque jour grandit la tromperie, incapable de fixer
Une limite à sa méchanceté, en cette époque détestable.

Peu se soucient du bien, nombreux sont ceux enclins au crime.
La fin du monde est proche, la cruelle Érinye règne.

D’où vient la force du monde, si sa tête est une tige fragile ?
D’où vient le salut pour la terre, lorsque la violence de la maladie
Monte jusqu’à la tête, qui vend tout avec perversité
Et ne donne rien gratuitement ?

Celui qui a fermé sa bourse
N’a rien tiré du sein de la pitié romaine.
Voici la plus grande douleur :
Que l’argent, qui surpasse tout, ait à Rome plus de valeur
Que la règle sacrée de la justice.

Quand Rome tombe, tout ce qui lui est soumis se désagrège.
Tous ont abandonné la justice et recherchent les dons.

L’ordre sacré chancelle,
Quand, sous l’emprise du désir pour l’argent,
Il change les sentences du Souverain Pontife.
Non pas parce que le pape agit mal ou recherche un gain,
Mais parce que la foule qui l’entoure estime si haut les dons
Qu’elle évite aucun crime, tant qu’elle s’enrichit ainsi.

Qu’ils nous épargnent, eux qui nous repoussent si mordamment
Hors du troupeau du clergé,
Ou bien que l’on dise la vérité,
En dévoilant clairement les crimes du peuple romain.

Qu’ils prennent un frein, je le demande,
Et qu’eux, qui observent si avidement les fautes des autres,
Se tournent vers leurs propres failles.
Ils ne considèrent pas la masse de leurs propres fautes
Mais nous jugent dignes de peine pour la tache d’un autre !

Comme je l’ai écrit ci-dessus, nous errons ainsi,
Mais eux aussi, de la même manière, le savent,
S’ils veulent bien reconnaître les faits.

---- 

D’après le texte latin publié par Thomas Wright - The Anglo-Latin Satirical Poets and Epigrammatists of the Twelfth Century - Londres, Longman, 1872

 

Commentaires

  1. Y a comme un os..........Le Nartic est invisible

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    Réponses
    1. Nexplication ....Il faut sélectionner à l'aveugle pour faire apparaitre le Nartic...

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    2. Saint Riquier ach souvenirs .......Mon premier cours d'histoire de l'art du MA en sept 71

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