Money, money... et touchez pas au grisbi de Pierpont

Jan Gossart - Portrait d'un marchand - vers 1530
National Gallery of Arts, Washington
 
 
J'ignore quelle est la part de naïveté, d'inconscience, de cynisme, d'ironie ou de provocation dans la décision des responsable de la Morgan Library & Museum s'organiser une exposition Medieval Money, Merchants and Morality.
Pour les uns, J. Pierpont Morgan fut un grand capitaine d'industrie, un mécène et un philanthrope, pour les autres, c'est l'un des barons voleurs (robber barons) qui firent fortune grâce à la corruption et à des manoeuvres financières douteuses.
 
 
Cette exposition est la première initiative de cette ampleur à examiner la révolution économique dans l'Europe médiévale et à cartographier le rôle et la perception de l'argent au cours de cette période. Ancrée autour des manuscrits médiévaux les plus connus de la Morgan Library, elle recontextualise de manière critique des objets de la collection ainsi que d'autres objets exceptionnels prêtés pour cette occasion.
 
Niccolò da Bologna - L'orfèvre - vers 1393
Frontispice pour le registre des créditeurs de la société de prêts de Bologne
morgan library & museum
 
 
L'Europe médiévale a connu une révolution économique: le commerce a été mené à une échelle sans précédent, les banques ont été établies et la production de pièces de monnaie a augmenté. Le rôle croissant de l'argent dans la vie quotidienne a déclenché des débats éthiques et théologiques alors que les individus étaient confrontées à des marchés fluctuants, aux disparités de richesse, de comportement personnel et de moralité. Cette exposition rassemble les manuscrits enluminés de la Morgan Library et des prêts pour révéler les façons complexes dont les gens ont conçu l'argent en cette période de changement économique rapide.
 

 Monnaies du trésor de Chalcis (Forteresse vénitienne sur l'île grecque d'Euboea) - Fin du XIIIe siècle

 

L'exposition met en scène une lutte qui a suivi la montée du capitalisme au Moyen-Age : préféreriez-vous avoir votre argent ou la vie éternelle ? Le célèbre tableau de Hieronymus Bosch, La mort et la misère, qui ouvre l'exposition, montre un homme confronté à cette question sur son lit de mort, car un démon lui offre un sac d'argent tandis qu'un ange l'exhorte à se tourner vers Dieu. L'exposition révèle la tension entre le gain matériel et l'épanouissement spirituel, entre le désir de réussir dans les affaires et d'accumuler la richesse et les idéaux chrétiens de la pauvreté et de la charité.

 

Hieronymus Bosch - La mort et la misère (ou La mort de l'avare) - vers 1485-1490
National Gallery of Arts, Washington
 

Dans une autre section, l'exposition explore la question, « L'argent va-t-il sauver (ou damner) nos âmes ? » Pour les chrétiens médiévaux, l'avarice - le désir de choses matérielles - était un péché mortel. Avec l'essor du commerce, des investissements et des banques, beaucoup ont commencé à interpréter l'avarice comme la soif d'argent. Cette section met en avant les perspectives médiévales sur les façons immorales d'acquérir et de dépenser l'argent, des préoccupations qui trouvent des parallèles prêts dans la vie contemporaine. Alors que de nombreux débats étaient centrés sur l'usure (la pratique consistant à prêter de l'argent à intérêts), escrocs, voleurs, intermédiaires, fraudeurs et joueurs ont été condamnés par les autorités séculières et ecclésiastiques. Inversement, l'exposition examine le potentiel de l'argent, en soulignant les réponses morales, ainsi que les transformations sociétales provoquées par la nouvelle culture du commerce.

 

Judas tente de rendre les 30 deniers. Sa pendaison.
Légendaire d'Anjou-Hongrie, vers 1325-1335, Morgan Library
(A noter que l'illustrateur ne suit pas le texte de Matthieu, 27 où les grands prêtres reprennent l'argent)
 

Les chrétiens médiévaux ne condamnaient pas de manière réductrice l'argent; ils ont compris comment il pouvait être canalisé pour soutenir les initiatives religieuses et pour aider les moins privilégiés. 

 

Andrea di Bartolo - Joachim et Anne font l'aumône aux pauvres et des offrandes au Temple, vers 1400
National Gallery of Arts, Washington
 

L'exposition donne à voire la montée de la nouvelle classe marchande, comme le montre le Portrait d'un homme à la rose de Hans Memling, qui représente probablement un jeune marchand italien. Avec l'essor du commerce et l'invention de nouveaux instruments financiers, la mobilité sociale et économique a été favorisée, l'accumulation de richesses étant rendue possible pour ceux qui n'en ont pas hérité.

 

Hans Memling - Portrait d'un homme à la rose - vers 1475
Morgan Library

Parmi les autres points forts de l'exposition, on peut citer un coffre-fort allemand prêté par le Metropolitan Museum of Art, avec un mécanisme de verrouillage élaboré. Sont également exposés deux volumes de l'extraordinaire « Heures de Catherine de Clèves ». Un volume est ouvert sur une image de St. Grégoire encadré par une bordure inhabituelle de pièces d'or et d'argent. Plusieurs des pièces médiévales représentées dans la miniature, ou leurs équivalents proches, seront exposées à côté du manuscrit, grâce à la générosité de l'American Numismatic Society.
 
Master of Catherine of Cleves, St. Gregory the Great and Coins,
Hours of Catherine of Cleves,
The Netherlands, Utrecht, ca. 1440.
The Morgan Library & Museum, MS M.917/945, p 240.

 
 
The Morgan Library & Museum (New York, USA)
Medieval Money, Merchants, and Morality
November 10th, 2023 - March 10th, 2024
  

------

Quelques images pour ceux qui ne passeront pas à New York avant mars 2024 !

Master of St. Augustine (?), St. Francis renouncing His Worldly Goods, oil on panel,
Belgium, Antwerp (?), ca. 1500.
Philadelphia Museum of Art, Purchased with the Henry P. McIlhenny Fund in memory of Frances P. McIlhenny, 2003, 2003-89-1.

 

Merchant and King
Jacobus de Cessolis
Liber de moribus hominum et officiis nobilium sive super ludo scacchorum (Book of the Customs of Men and the Duties of Nobles, or The Book of Chess), in French
Translated by Jean de Vignay France, probably Paris, 1350–60
The Morgan Library & Museum, MS G.52, fol. 33v detail. Gift of the Trustees of the William S. Glazier Collection, 1984.

 

Fra Angelico, St. Anthony Shunning the Mass of Gold, tempera on panel, Italy, Florence, ca. 1435–40.
Museum of Fine Arts, Houston, 44.550 / The Edith A. and Percy S. Straus Collection

 

Boxed balance with weights
Germany, Cologne, 1699
Produced by Berndt Odental (weights) and Jacob Heuscher (balance).
Courtesy of the American Numismatic Society, New York, 1930.179.1-24. 

 

David and an Avaricious Man, in an initial D from a breviary, France, Paris, 1285–97.
The Morgan Library & Museum, New York, MS M.1042, fol. 29v (det.).

 

Visitation and Shower of Coins
Book of Hours
Illuminated by the Master of Sir George Talbot
Belgium, Bruges, ca. 1500
The Morgan Library & Museum, New York, MS M.390, fols. 44v–45r.

 


Gerard of Villamagna Soliciting Alms for the Poor, from Vita Christi 

Illuminated by Pacino di Bonaguida and workshop
Italy, Florence, ca. 1300–25
The Morgan Library & Museum, MS M.643, fol. 18v.

 

Avarice
Book of Hours
Illuminated by Robinet Testard
France, Poitiers, ca. 1475
The Morgan Library & Museum, New York, MS M.1001, fol. 91r.

 

Eight of Coins, King of Coins, and Ten of Coins
Playing Cards
Illuminated by Bonifacio Bembo
Italy, Milan, ca. 1450–80
The Morgan Library & Museum, MS M.630, nos. 20, 32, 33.

 

The Prodigal Receives His Share
Germany, 1532
Colorless glass, vitreous paint, and silver stain
The Metropolitan Museum of Art, Bequest of George Blumenthal, 1941, 41.190.442.

 

Covetousness, from Guillaume de Lorris and Jean de Meun, Le roman de la rose 

Paris, ca. 1350.
The Morgan Library & Museum, MS M.324, fol. 2v detail.

 

 

Workshop of Jean Pichore, Man Preparing for His Old Age, from a book of hours, France, Paris, 1510–20.
The Morgan Library & Museum, MS M.813, fol. 13r.

 

Strongbox
Steel, Germany, possibly Nuremberg, late sixteenth or early seventeenth century
35 3/4 × 51 in., 768 lb.
The Metropolitan Museum of Art, New York, 1890, 90.13.1/ Gift of Henry G. Marquand

 

Gamblers and Criminals
Hugo von Trimberg
Der Renner
Austria, Tyrol, ca. 1476–99
the Morgan Library & Museum, MS M.763, fol. 131v.

 

Hans Holbein the Younger
Der Rychman (The Rich Man), from Dance of Death
Woodcut executed by Hans Lützelburger
Germany, designed 1523–26, published 1538
Courtesy National Gallery of Art, Washington, Rosenwald Collection, 1948.11.128.


 
 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La Proëlla à Ouessant, rite funéraire et célébration de l'absence

Toujours cet exhibitionniste sur la cathédrale de Strasbourg

Le Codex florentin et le nahuatl pour tous

Ute de Naumbourg, la plus belle femme du Moyen Âge

Même en allemand, y avait pas moyen de mourir tranquille (1468)