Dominique Richert - Cahiers d'un survivant

 

DOMINIQUE RICHERT - CAHIERS D'UN SURVIVANT.
Un soldat dans l’Europe en guerre. 1914 - 1918.
Editions de la Nuée Bleue
 

 
 
Connaissez-vous Orages d’acier du vieil écrivain militaro-fasciste Ernst Jûnger ; A l’Ouest rien de nouveau de l’humaniste Erich M. Remarque ; Guerre du communisant Ludwig Renn ; Classe 22 du pacifiste Ernst Glaeser ou d'autres romans sur la Première Guerre mondiale, dite la Grande Guerre ?
 
Alors, oubliez-les tous et lisez ce livre !
 
Richert n’était ni militariste, ni humaniste, ni communiste ou pacifiste. C’était un paysan alsacien germanophone, enrôlé dans l’Armée allemande, ce qui était “normal” avant 1918. La situation des Alsaciens, pendant cette guerre, était particulièrement pénible, car on les envoyait presque toujours à l’Est par peur qu’ils ne désertent. En plus, ils ne pouvaient pas rentrer chez eux durant leurs permissions, car chez eux il y avait tout le temps la guerre ! Dominik Richert est donc un “malgré-nous”, et il se dit : “quel que soit le vainqueur, la guerre dévastera mes terres et nous serons les perdants.” Mais il lance aussi à un lieutenant particulièrement nationaliste qui lui reproche son attitude plutôt défaitiste : “Vous savez, qui gagne la guerre, cela m’est totalement indifférent, car je serai de ce côté-là. Je suis alsacien, et que l’Alsace devienne française ou demeure allemande, je m’en fiche !
 
On trouve cette sorte de dialectique dans tout le livre. Richert se montre tour à tour courageux et lâche, désespéré et optimiste, plein de rage vengeresse et de compassion active - mais il reste lucide, et par là touchant, d’autant qu’il révèle un talent admirable de narrateur, d’une concision étonnante. C’est justement ce style de chroniqueur qui rend crédibles les multiples contradictions d’un soldat tout à fait ordinaire qui sera promu caporal peu de temps seulement avant la fin de la guerre et qui insiste toujours sur le peu d’enthousiasme patriotique de ses camarades.
 
Il est courageux quand il ne peut pas faire autrement - il sera décoré de la Croix de Fer de première classe pour son comportement devant l’ennemi - et quand il ne faut surtout pas l’être : Il dénonce, par exemple, un général qui avait donné l’ordre de ne pas faire de prisonniers.
 
Cela ne l’empêche pas de se planquer quand la situation devient désespérée, de simuler la maladie, et de ne rêver que de deux choses : entrer à l’hôpital militaire ou être fait prisonnier, au point d’envier les Russes qu’il fait prisonniers : “Ils en ont fini avec le carnage”.
 
Bien sûr le lecteur a droit à l’évocation de toutes les horreurs de la guerre : la faim, les poux, les morts atroces, ainsi qu’aux ruses de “vieux” soldats. Mais le style de chroniqueur, évitant tout pathos, rend toutes ces péripéties à la fois plus supportables et plus épouvantables. Veut-on un exemple ? Dominik Richert retrouve l’un de ses camarades dormant la pipe à la bouche, le lendemain d’une bataille, et veut le réveiller : “Je constatais qu’il était mort. Une balle qui avait traversé le sommet du rempart en terre avait atteint son cœur. Sans sentir aucune douleur, il était mort pendant son sommeil. Il avait maintenant toute la misère derrière lui et je l’enviais presque. De mon groupe, j’étais le seul survivant. A cause des événements que je venais de vivre, j’étais très déprimé.” Fin d’un chapitre, Tout recommence le lendemain.
 
Qui sait - et où lit-on - que, pour ne pas se faire tuer, les soldats se rendant à l’ennemi lui proposaient de l’argent ? Richert n’écrit nulle part s’il en a accepté ou non. Mais dans aucun roman sur la Guerre je n’ai lu jusqu’ici de tels “détails”. Certes, on pourrait dire qu’il invente, mais il n’invente pas. La preuve : Richert tente deux fois de déserter, et la veille il remplit ses poches de tout ce qu’il pouvait encore acheter, notamment du tabac, pour le donner tout de suite à ses libérateurs. Sur le front de l’Est, il ne parvient jamais jusque dans les rangs adverses. Mais, quand on autorise les Alsaciens à se battre sur le front de l’Ouest, la dernière année, il se rend aux Français le 23 juillet 1918, non sans avoir acheté quelques “cadeaux” auparavant.
 
Dominik fut un déserteur, un traître, mais à qui donc ? A quelle patrie ? Il ne l’avait pas vue depuis près de cinq ans. A ce moment-là, elle se trouvait du côté français, dont il ne parlait même pas la langue. Et, comme l’écrivent les éditeurs de l’ouvrage, Angelika Tramitz et Bernd Ulrich, ses nouveaux “compatriotes” ne lui permettaient pas de revenir chez lui.
 
Fritz Taubert - Le Mouvement Social (revue) - 1992
 
(Compte rendu de l’édition allemande parue sous le titre :
Dominik Richert - Beste Gelegenheit zum sterben. Meine Erlebnisse im Kriege : 1914-1918)

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