Jacqueline Logan, une Marie-Madeleine pour peplum biblique

J'en profite de ce que ce n'est pas encore le Carême et que les temps de cerveaux disponibles ne sont pas encore accaparés par les ratichons sermoneurs pour caser ce billet consacré à  Marie-Madeleine. Nous considèrerons que le lecteur est au fait des études bibliques, théologiques, exégètiques et spirituelles concernant Marie-Madeleine (les cancres pourront se référer à la bibliographie in fine et aux usuels que tout honnête homme se doit d'avoir à portée de main ou de clic). Nous ferons donc l'impasse sur les licences cinématographiques qu'a prises Cecil B. DeMille avec les récits des évangiles canoniques.

La représentation de Marie-Madeleine dans Le Roi des Rois, réalisé par Cecil B. DeMille en 1927, est aussi fidèle à la lettre des Ecritures que le pape Grégoire le Grand (Homiliæ in Evangelium 25 du 20 avril 591) ou les prêches de Vincent Ferrier (Sermones S. Vincentii Ferrerii. Pars aestivalis. In die sancto Paschae, Serm. II). C'est-à-dire très éloigné du texte...

Il faudra attendre 1969 et le pape Paul VI pour revenir à l'enseignement d'Origène et de saint Jérôme. A l'occasion de la révision du Calendrier Romain général,  Paul VI écrit:

Martyrologium Bedae mentionem facit, die 22 iulii, de S. Maria Magdalena. Eadem die eius festum celebratur apud Syros, Byzantinos et Coptos. Sed cultus S. Mariae Magdalenae in Occidente non est evulgatus ante saeculum xii. In liturgia romana instaurata iam non habebitur memoria Mariae de Bethania neque mulieris peccatricis de qua agitur in Lc 7, 36-50, sed tantum de Maria Magdalena cui Christus post suam resurrectionem primae apparuit

(Le Martyrologe de Bède fait mention, le 22 juillet, de sainte Marie-Madeleine. Ce même jour, sa fête est célébrée chez les Syriens, les Byzantins et les Coptes. Cependant, le culte de sainte Marie-Madeleine en Occident ne s'est pas répandu avant le XIIe siècle. Dans la liturgie romaine restaurée, il n'y aura plus de mémoire de Marie de Béthanie ni de la femme pécheresse dont il est question en Luc 7, 36-50, mais seulement de Marie-Madeleine, à qui le Christ apparut en premier après sa résurrection. )


Jacqueline Logan dans le rôle de Marie-Madeleine (The King of the Kings, 1927)

The King of the Kings (Le Roi des Rois, 1927) est le second volet de la trilogie biblique de Cecil B. DeMille, après Les Dix commandements (1923) et avant Le Signe de la Croix (1932) . L'interprétation de Jacqueline Logan dans le rôle de Marie-Madeleine n'est pas étrangère au succès mondial de ce peplum biblique - une Marie-Madeleine lascive et décidée, loin de la Marie-Madeleine des chromos sulpiciens.

Ce qui n'a pas échappé à Decent Films, la bible des cinéphiles bigots, lors la sortie en DVD d'une version restaurée :

" La séquence d'ouverture montre DeMille à son summum d'autosatisfaction, donnant libre cours à sa faiblesse pour le spectacle opulent et le drame historique érotisé, avec une fête décadente présidée par une Marie-Madeleine insolente et sensuelle, à moitié dévêtue, présentée comme une courtisane et l'amante de Judas Iscariote.

Cependant, tout comme Marie-Madeleine elle-même, qui, en présence de Jésus, est immédiatement humble et repentante, DeMille abandonne son penchant pour le sexe et l'excès dès qu'il passe de son prologue apocryphe aux événements de l'Évangile." Steven D. Greydanus

Decent Films a cependant classé le film dans la catégorie des films de haute valeur spirituelle et morale (+4) avec une note artistique de 3,5/4.

Cette impression est confirmée par la lecture de la presse de l'époque. Plusieurs mois avant la sortie du film, Cecil B. DeMille a lancé une campagne de promotion dont ce papier paru avant même la sortie du film.

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« Jackie » étonne Hollywood par Katherine Lipke (janvier 1927)

Le choix de Jacqueline Logan pour incarner Marie-Madeleine dans Le Roi des Rois a stupéfié la communauté cinématographique, mais le changement complet de sa personnalité au milieu de scènes de magnificence biblique a suscité encore plus d’étonnement.

Avec ses cheveux roux exhalant un parfum enivrant, son costume d’une magnificence somptueuse et d’un attrait irrésistible, et son attitude hautaine et impérieuse, Marie-Madeleine arrive dans son char tiré par des zèbres à la Maison des Miracles, située dans une rue de Capharnaüm. Elle est venue voir de ses propres yeux le charpentier-enseignant qui a réussi à lui ravir Judas, son favori.

 

Jacqueline Logan dans le rôle de Marie-Madeleine (The King of the Kings, 1927)

 

Cette beauté audacieuse et pittoresque, aux yeux froids et cruels et à la bouche voluptueuse, n’est autre que Jacqueline Logan, choisie par Cecil DeMille et un groupe de juges pour son aptitude apparente à exprimer aussi bien les profondeurs que les sommets — la splendeur du vice et l’humilité rayonnante — exigés pour le rôle de Marie-Madeleine dans Le Roi des Rois, l’adaptation par DeMille de la vie du Christ.

Le tournage du film est désormais bien avancé et, puisqu'il débute avec Marie-Madeleine et sa vie spectaculaire de débauche avant sa rencontre avec le Christ, il offre un aperçu totalement surprenant de Jacqueline Logan.

 

Jacqueline Logan dans le rôle de Marie-Madeleine (The King of the Kings, 1927)

 

Elle n’est en aucun cas une nouvelle actrice ni une inconnue. Pendant des années, son nom a brillé en lettres lumineuses au-dessus des cinémas du pays — sans grand impact. Le fait que "Jackie" ait été en vedette dans chacun de ses films importe peu, car elle n’a joué que dans des productions secondaires, dans des rôles sans intérêt.

Nous avons fini par la considérer comme l’une de ces nombreuses jeunes femmes capables de tenir des premiers rôles dans de petits films, mais apparemment dépourvue de véritable intensité émotionnelle. À une époque où les réalisateurs découvrent sans cesse de nouvelles facettes chez des acteurs bien connus, Jackie avait, jusqu’à présent, été laissée de côté.

 

Jacqueline Logan dans le rôle de Marie-Madeleine (The King of the Kings, 1927)

 

Et puis vint Le Roi des Rois. D’un peu partout, une trentaine de jeunes filles et de femmes se sont présentées pour tenter d’obtenir le rôle de Marie-Madeleine. Non seulement ce personnage est l’un des plus dramatiques de toute l’histoire et de la tradition, mais il est aussi le rôle féminin principal de la production de DeMille. Les personnages du Christ, de Judas et de Marie apparaissent tout au long du film, tandis que les autres n’ont que des scènes plus brèves.

Bon nombre des actrices auditionnées avaient fait confectionner de somptueux costumes spécialement pour l’occasion. Les préparatifs avaient été menés avec un soin extrême. La liste de ces trente candidates comprenait certains des plus grands noms du cinéma.

À la fin des trente candidates, vint Jacqueline. Un matin, elle reçut une convocation pour se présenter au studio.

Le costume du studio était froissé et déchiré. La perruque avait déjà été utilisée de nombreuses fois. Les sandales étaient beaucoup trop grandes. Le costume était mal ajusté sur elle, et elle traînait les pieds en marchant. Cependant, Jacqueline avait une telle confiance en elle que son état d’esprit surpassa les désagréments de l’audition.

Elle ne voyait pas en Marie-Madeleine une femme foncièrement mauvaise. Au contraire, elle l’imaginait comme une femme qui n’avait jamais réellement connu la différence entre le bien et le mal. Courtisée par des princes et des hommes riches, vivant dans un cadre somptueux, fière de son rang — elle était, en tous points, la courtisane éclatante !

 

Jacqueline Logan dans le rôle de Marie-Madeleine (The King of the Kings, 1927)

 

Lorsqu’elle rencontra le Christ et fut convertie, Jackie estimait qu’elle ne deviendrait pas une créature douce et repentante. Marie était une femme d’une vitalité rayonnante, d’un magnétisme inextinguible. Cette vitalité et ce magnétisme, elle les mettrait au service du Christ et du développement de son œuvre.

Ainsi, le jour de l’audition, Jacqueline Logan imagina Marie-Madeleine comme une créature d’une splendeur éclatante dans son péché, puis d’une radieuse et joyeuse détermination après sa conversion.

Lorsque les essais furent présentés à un groupe de juges, elle fut pratiquement leur choix unanime, car elle parvenait à incarner les deux facettes du personnage de Marie.

À mes yeux, c’est l’un des aspects les plus étonnants du choix de Mlle Logan pour ce rôle. Après des années passées à jouer dans des films sans grande portée dramatique, elle n’avait réussi à éveiller ni les producteurs, ni les réalisateurs, ni les critiques, ni même les spectateurs à la mesure de son potentiel émotionnel. Et pourtant, elle fut soudainement choisie pour l’un des rôles les plus dramatiques de l’histoire, grâce à l’ampleur de son talent émotionnel.

Jacqueline Logan dans le rôle de Marie-Madeleine (The King of the Kings, 1927)

 

Un an après son mariage, Jackie a plutôt tendance à être plus Mme Gillespie, femme au foyer, que Mlle Logan, actrice. Ses pensées étaient remplies de budgets et de comptes bancaires, de l’organisation des repas et de la création d’un foyer pour son mari.

L'attribution du rôle de De Mille à Jackie changera probablement tout cela — en fait, elle commence déjà à émerger avant tout comme Jacqueline Logan, la jeune femme à qui l'on a offert la meilleure opportunité de l’année. Et M. Gillespie, s'il est un bon mari, s’occupera probablement lui-même des questions de budget.

L'arrivée de Jacqueline en Marie-Madeleine à la Maison des Miracles est l’un des moments les plus spectaculaires de Le Roi des Rois. Elle a été raillée lors de son banquet parce que son amant, Judas, est absent. Les invités lui disent en riant qu'il l’ignore pour un charpentier de Nazareth, qui aurait le pouvoir de guérir les malades et de ressusciter les morts.

Dans une tourmente de rage magnifique, elle ordonne que son char, tiré par quatre zèbres, soit amené et se rend à la maison où l’on dit que les miracles ont lieu. Elle a l’intention de voir par elle-même, et aussi de récupérer son amant.

Pour cette scène, DeMille a construit une rue de Capharnaüm au milieu des collines derrière son studio à Culver City. C’est d’une réalité frappante. Les bâtiments bruts et modestes, avec les marchands endormis, ramènent à une époque lointaine. Devant la porte fermée de la Maison des Miracles, au détour de la rue, une foule de boiteux attend, entourée de curieux.

Le bourdonnement des mouches, l’odeur de la poussière, les pierres pavées brutes, tout cela évoque l’époque biblique. C’est dans cette scène que Marie arrive, accompagnée de ses zèbres tempétueux et de ses esclaves nubiens. Un tapis de velours est déroulé pour elle, et elle entre dans la maison.

Marie-Madeleine — interprétée par une jeune femme dont le nom est bien connu, mais qui n’a jamais vraiment marqué les esprits. Jacqueline Logan — choisie parce qu’on pensait qu’elle était capable de révéler les sommets et les profondeurs du caractère féminin, parce qu’elle pouvait éblouir par sa méchanceté, et plus tard réchauffer par sa compréhension éclairée ! DeMille a donné à une autre actrice l’opportunité de se faire une place importante dans le monde du cinéma. Parviendra-t-elle à en faire une place durable ?

Katherine Lipke pour Picture Play Magazine, janvier 1927


Bonus vidéo - Le film complet dans une version restaurée de 2h40mn.

 Les principales séquences avec Marie-Madeleine :

1)  Le début du film, tourné en technicolor.

2) (à partir de 21mm 20 sec ). L'arrivée de Marie-Madeleine à Capharnaüm et sa rencontre avec Jésus.

3) Vers la fin, plusieurs plans avec Marie-Madeleine.


 

 

 

Petite bibliographie aléatoire :

Biographie de Jacqueline Logan sur Forum.westernmovies.fr

Evangile selon Jean 12, 1-11 (parallèles Matthieu 26,6-13 ; Marc 14,3-9) et Luc 7,36-50.

 

 

 

 

 

 

 

 

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