Mode apostolique : Poser pieds nus ou en sandales ?
L'Histoire de l'Art (avec des majuscules) fourmille de questions essentielles auxquelles personne ne répond. C'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnaît.
Voici une question essentielle : Les apôtres doivent-ils poser nu-pieds ou chaussés ?
En 1934, Henri Rachou, conservateur du musée des Augustins de Toulouse, écrit à propos d'un ensemble de sculptures romanes : "Six des apôtres de Saint-Etienne, deux signés de Gilabertus, quatre qui lui sont attribués sont figurés nu-pieds sur un sol imbriqué, alors que les six autres, taillés par un maître inconnu, sont représentés chaussés de sandales foulant aux pieds des rinceaux ou des animaux monstrueux. Pourquoi cette distinction, cette différence, entre des personnages qui devraient logiquement être qualifiés par les mêmes attributs ?
Nous rappelant la tutelle indispensable exercée sur les imagiers romans par des hautes personnalités parfaitement au courant des textes et de l'iconographie, nous nous refusons à croire, comme certains amis consultés, soit à une fantaisie personnelle inadmissible à cette époque de discipline morale, soit à une sorte de marque d'atelier." (Henri Rachou - Pierres romanes, p. 63)
90 ans après, la question reste en suspens, les études publiées tournent essentiellement autour de la datation des sculptures, leurs auteurs, l'identification des apôtres, etc.
Le cloître des chanoines de la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse et ses annexes, déjà bien ruiné, a été démoli entre 1799 et 1812 pour construire une nouvelle rue. Seuls quelques éléments ont été préservés pour rejoindre les collections du musée local. Puis, les statues des apôtres ont été 'remontées' en portail dans le musée des Augustins avant 1835. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à attribuer les sculptures à deux ateliers distincts, mais rares sont les experts qui acceptent encore la thèse d'un ensemble cohérent ou d'un portail. Les sculptures pourraient provenir de différentes bâtiments ou parties du cloitre qui était le plus vaste du Midi (45m x 41m). Linda Seidel va même jusqu'à parler d'une 'forgerie romantique', mais c'est une universitaire de Harvard qui va jusqu'à contester le montage des bases et des chapiteaux.
Tout ceci pour ne pas répondre à la question de Rachou : Un apôtre doit-il poser pieds nus ou sandales ?
PS : Ma contribution à cette question essentielle. Les six apôtres en sandales n'étaient pas allemands. Ils ne portent pas de chaussettes.
Bibliographie :
Illustrations : Musée des Augustins, Toulouse
Charlotte RIOU - Gilabertus me fecit… Parcours historiographique des sculptures du cloître de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse attribuées à Gilabertus.(PDF en ligne)
Leon PREYSSOURE - Les apôtres de la salle capitulaire de Saint-Etienne de Toulouse (Bulletin Monumental 1969, 127-3. pp. 241-242)
Linda Seidel - A Romantic forgery : The romanesque 'portal' of Saint-Etienne in Toulouse (The Art Bulletin 1968, vol. 50. pp. 33-42)
Paul MESPLE - Toulouse. Musée des Augustins.. Sculptures romanes (Editions des Musées Nationaux, 1961)
Henri RACHOU - Pierres romanes de Saint-Etienne, La Dorade et Saint-Serrin (Privat, 1934)
NODIER, TAYLOR et DE CAILLEUX - Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France. Languedoc (Volume 1, 1834)
Et comme je fais un peu ce que je veux ici, cette Mare de Déu del Claustre (Cathédrale Sainte Marie de Solsona), une sculpture de Gilabertus de Toulouse.
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