Autre temps, mêmes moeurs (Mascolo, 1957)

 On a beau avoir été le mari de Marguerite Duras, on ne peut pas se tromper tout le temps...



 

Bref : on est ici blasé. Nous (pour parler ainsi) jouons imperturbablement en France notre rôle de contrôleurs des raisons de vivre des autres. (Nous qui, bien entendu, comme il est de règle, n’en avons aucune ; mais laissons.) C’est ce qu’on appelle la vocation d’universalité de la France. Elle a fait de nous ces curieux universels, ces bavards universels, ces cuistres universels, informés de tout et tranchant de tout sur-le-champ, hâtifs à juger définitivement ce qui vient à peine d’arriver, de sorte qu’il nous sera bientôt impossible d’apprendre quoi que ce soit : nous savons tout déjà. Apprentis prophètes, sages sismographes, tout ce qui arrive nous arrive presque à l’avance, ou comme à la Dernière Heure d’un journalisme philosophique.
 
 Cette présomption est notre misère. Les gens ici sont informés, intelligents et curieux. Ils comprennent tout. Ils comprennent si vite toute chose qu’ils ne prennent le temps de penser à aucune. Ils ne comprennent rien. Il n’est pire bêtise que celle-ci, informée, avertie, savante, cultivée, prétentieuse, une bêtise d’élite, encore une fois, où les problèmes sont mis en fiches par cent mille intellectuels avant d’avoir été ni vécus, ni médités. Allez donc faire admettre que quelque chose de nouveau a eu lieu à ceux qui ont déjà tout compris ! Ils recevront votre témoignage, oui. On adore les documents. Mais avec une dextérité de naturaliste, par l’application de vieux concepts et de jugements tout faits, on leur donne aussitôt forme ancienne, parfaite et vide, avant de les classer pour jamais dans les grands cimetières du savoir inutile.
 
Dionys Mascolo - Lettre polonaise sur la misère intellectuelle en France - 1957 

 

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