La subtile impudeur du vitrail de la Synagoga (Eglise Ste Elisabeth de Marbourg)

 


 

Une Synagoga plus lascive que celle de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg. Un détail qui n'a pas échappé aux iconographes du Land de Hesse.

 



La Synagogue, personnification de l’Église de l'Ancien Testament, semble prête à se retirer, orientée vers la droite, sa tête en profil sévère tournée vers Ecclesia, moins repentante qu'à Strasbourg, où son regard se porte timidement vers le sol.

Ici, elle se tient droite, comme si elle observait la chute de la couronne. Ses yeux sont bandés par un tissu (Jean 12,40), mais on distingue qu'ils sont ouverts sous le tissu. La lance brisée est maintenue près de son corps, sa pointe et son fanion touchant déjà le sommet de sa tête, et ils ont renversé la couronne qui va tomber au sol d'un instant à l'autre. Son bras droit, plié, tient un bouc ensanglanté par les cornes (à Strasbourg, il s’agit des Tables de la Loi), rappelant les sacrifices d'holocaustes exigés par Dieu. Comme son modèle, la Synagogue ne porte pas de manteau, mais elle est habillée d’une robe et d’un sous-vêtement richement ornés de bandes colorées disposées horizontalement. Une longue ceinture entoure fermement ses hanches, mais, à l'inverse de la sculpture de Strasbourg où la silhouette élégante est soulignée par le tissu couvrant ses pieds, ici la forme du corps ne se distingue pas sous le vêtement. 

En revanche, la figure de Marbourg reprend la gracieuse torsion en spirale de son modèle (tête tournée vers la gauche, torse de face, bas du corps orienté vers la droite), avec même une touche plus lascive dans la légère projection du ventre en avant. Cependant, cette représentation de la Synagogue est largement inversée, ses bras suivant cette inversion de manière partielle seulement. Cela souligne une différence significative entre les deux groupes de sculptures : à Strasbourg, la Synagogue paraît encore en quête de communication avec le Juge, tandis qu'à Marbourg, elle semble définitivement détournée, poussée vers la sortie par Ecclesia. Ce changement de position des figures pourrait être une subtile intention du concepteur du programme iconographique de Marbourg, visant à accentuer la signification antithétique de la scène, alors que les paires de figures dans les fenêtres adjacentes devaient probablement se faire face.

 


 

 

Composition, couleurs, ornement

Synagogue en robe bleu clair avec un ourlet inhabituellement large en bande verte de palmettes autour de l'encolure et un étroit bandeau perlé, orné aux épaules d'épaulettes en forme de feuilles rouges. Quatre autres bandes de couleur en jaune-rouge, jaune-blanc, rouge-blanc et blanc-rouge entourent la robe longue jusqu'aux chevilles, sous laquelle se trouve une sous-robe jaune enveloppant les deux pieds, avec un ourlet bicolore en vert et rouge. Aux manches, un ourlet vert et une bande jaune étroite. La chèvre est violette avec le bout du cou rouge, la lance autrefois dorée mais maintenant fortement corrodée, avec une pointe bleu clair, et le voile de la lance orné de bandes perlées vertes et rouges. L'architecture du tabernacle est légèrement modifiée par rapport à celle d'Ecclesia : les fûts des colonnes montrent des veines de marbre au lieu de taches, la figure est surmontée d'un arc en plein cintre bicolore jaune et bleu clair avec une arcade murale ajourée en violet au-dessus. La tour ronde présente, en plus de la grande fenêtre centrale, des ouvertures en arc ainsi que des oculi plus petits. 


Conservation

Verre principalement original. Légères restaurations dans la zone de la poitrine et des genoux de la figure. Dans le tabernacle, un morceau inférieur de la colonne et les deux moulures de base de la couronne architecturale ont été remplacés. Un plus grand morceau du motif de feuilles en arrière de la nuque de la figure a été complété. La bande de perles extérieure a été presque entièrement remplacée. La comparaison avec l’état des vitraux, documenté par photographie lors de la mise à l’abri pendant la guerre, révèle une altération rapide qui s'est accélérée au cours des dernières décennies. Le visage, les mains et les cheveux de la Synagogue sont brunis à tel point qu’ils en sont devenus méconnaissables. En outre, des verres colorés, surtout verts, mais aussi ponctuellement bleus et rouges dans la zone architecturale, sont recouverts d’un vernis sombre qui réduit considérablement leur luminosité.

 

Le visage de Synagoga sur une photographie (vers 1907)

Source : Mittelalterliche Glasmalereien in Hessen

 

Comme il n'y a pas de Synagoga sans son pendant Ecclesia, l'église Sainte Elisabeth de Marbourg a aussi son Ecclesia, moins réussie que son modèle strasbourgeois, même les Allemands le reconnaissent.

 


 

Conservation

Substantiellement très bien conservée. Dans la partie figurative, seuls quelques petits morceaux de vêtements, la chaussure droite ainsi que la couronne ont été restaurés. Un nombre important de bordures dans le champ 2a a également été remplacé. Sur le visage de l’Ecclesia, on observe les traces d’une altération extérieure avancée, à laquelle le verre semble particulièrement sensible. Plusieurs fissures sont visibles au niveau de la poitrine et du pied gauche.

Iconographie

L’Ecclesia couronnée, portant un étendard de victoire, tient dans sa main droite le calice contenant le sang que le Christ a sacrifié pour sceller la Nouvelle Alliance avec la communauté des croyants (l’Ecclesia). L’Ecclesia, en pose de chef de guerre comme après une bataille remportée, se tourne vers la Synagogue vaincue, dont la lance est brisée. Ses cheveux blonds tombent en boucles sur le manteau blanc rayé de rouge, noué sur la poitrine. En dessous, elle porte une robe ceinturée et une longue tunique atteignant le sol. La figure s’inspire essentiellement de la sculpture du portail du transept sud de la cathédrale de Strasbourg, créée peu de temps auparavant par le maître d’Ecclesia. Les maîtres verriers disposaient manifestement d’un modèle graphique relativement fiable, car la transcription montre également ces fines rides parallèles et ces profonds plis autour de la ceinture serrée. Cependant, il existe une différence notable dans les proportions plus trapues et dans la position des bras, inversée en miroir par rapport à la figure. Par ailleurs, le charme particulier du corps se dessinant sous le vêtement fin est fortement atténué à Marburg, seulement timidement suggéré par une ligne verticale au centre de la robe. La représentation de la main gauche constitue une tentative maladroite de rendre l’anatomie de la main visible sous le tissu, comme dans le modèle.

Composition, couleurs

Ecclesia, auréolée de vert, porte une couronne rouge et de longues boucles blondes. Le manteau blanc de chef de guerre, noué sur la poitrine, est orné de deux bandes transversales rouges et d’un ourlet doré, et tombe en cascades de plis jaunes et verts (doublure) le long du manche de l’étendard. La tunique est portée haut et ceinturée, avec une lanière en cuir jaune descendant jusqu’aux genoux. La tunique, finement plissée, est de couleur bleu clair avec des motifs de rayures violettes et blanches, avec un ourlet doré au niveau du cou et rouge au niveau des pieds. En dessous, une longue sous-robe blanche couvre presque entièrement les pieds. Les deux chaussures étaient à l’origine jaunes. Le manche rouge de l’étendard est orné d’un motif cruciforme jaune en forme de lance. L’étendard est bleu clair. L’architecture du tabernacle est composée de colonnes massives en marbre, avec des bases hautes et à multiples moulures, et des chapiteaux feuillagés richement décorés dans le style cosmatesque, avec des bandes spiralées montant entre des segments de couleur variée. Sur les plinthes repose un arc semi-circulaire bicolore en blanc et bleu, derrière lequel se trouve un mur crénelé percé de fenêtres rouges, et une tour ronde en dôme faite de blocs alternés jaunes et blancs, flanquée de petites maisons diagonales avec des fenêtres en arc bleu, des tuiles de toit vertes et des bordures rouges. Les toits et le dôme sont ornés de pommeaux.

Source : Mittelalterliche Glasmalereien in Hessen

 

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