Une justification par anticipation de la politique de l'OTAN

Nous sommes en 69. le légat romain Quintus Petillius Cerialis vient de réprimer la révolte du Batave Julius Civilis. C'est l'occasion pour Cerialis d'enseigner aux Trévires vaincus la doctrine de l'impérialisme et de leur rappeler ce qui, de tous temps, motive les Germains.
 
Ferdinand BOL - Les négociations de paix(...) - vers 1660

 

Cérialis, ayant ensuite convoqué les Trévires et les Lingons, leur parla ainsi : "L'éloquence n'est pas mon art, et j'ai prouvé par l'épée la force du peuple romain. Mais puisque les paroles vous touchent plus que les faits, et que vous jugez les biens et les maux non d'après, leur nature, mais sur les discours des séditieux, j'ai voulu vous exposer quelques vérités qui, au point où en est la guerre, vous seront plus utiles à entendre qu'il n'est utile pour nous de les dire. Quand les chefs et les généraux des armées romaines entrèrent sur vos terres et sur celles des autres Gaulois, ce fut sans aucun intérêt, mais à la prière de vos ancêtres, que fatiguaient de mortelles discordes, et à qui les Germains, appelés comme auxiliaires, avaient imposé, sans distinctions d'alliés ou d'ennemis, une égale servitude. Le monde sait quels combats il nous fallut soutenir contre les Cimbres et les Teutons, combien de travaux coûtèrent à nos armées les guerres germaniques, et comment elles se terminèrent. Et si nous gardons les barrières du Rhin, ce n'est pas sans doute pour protéger l'Italie ; c'est pour empêcher qu'un nouvel Arioviste ne vienne régner sur les Gaules. Croyez-vous donc être plus chers à Civilis, aux Bataves et aux nations d'outre-Rhin, que vos pères et vos aïeux ne le furent à leurs devanciers ? Les mêmes causes attirèrent toujours les Germains dans les Gaules : la soif des voluptés et de l'or, le désir de changer de séjour, et de quitter leurs marais et leurs solitudes pour posséder à leur tour ces fertiles campagnes et vous-mêmes avec elles. Du reste, l'indépendance et d'autres beaux noms leur servent de prétexte, et jamais ambitieux ne voulut l'esclavage pour autrui, la domination pour soi, qu'il ne prît ces mêmes mots pour devise. 

Il y eut en Gaule des rois et des guerres, jusqu'au moment où vous reçûtes nos lois. Tant de fois provoqués par vous, nous n'avons imposé sur vous, à titre de vainqueurs, que les charges nécessaires au maintien de la paix. Sans armées, en effet, pas de repos pour les nations, et sans solde pas d'armées, sans tributs pas de solde. Le reste est en communauté : c'est vous qui souvent commandez nos légions ; c'est vous qui gouvernez ces provinces ou les autres ; entre nous rien de séparé, rien d'exclusif. Je dis plus : la vertu des bons princes vous profite comme à nous, tout éloignés que vous êtes ; le bras des mauvais ne frappe qu'autour d'eux. On supporte la stérilité, les pluies excessives, les autres fléaux naturels ; supportez de même le luxe et l'avarice des puissances. Il y aura des vices tant qu'il y aura des hommes ; mais ces vices, le règne n'en est pas continuel ; de meilleurs temps arrivent et consolent. Eh ! quand Tutor et Classicus seront vos maîtres, espérez-vous donc plus de modération dans le pouvoir ? ou faudra-t-il moins de tributs alors qu'aujourd'hui, pour entretenir des armées contre les Bretons et les Germains ? car les Romains chassés (veuillent les dieux empêcher ce malheur), que verrait-on sur la terre, si ce n'est une guerre universelle ? Huit cents ans de fortune et de conduite ont élevé ce vaste édifice : qui l'ébranlerait serait écrasé de sa chute. Mais c'est pour vous que le péril est le plus grand, vous qui possédez de l'or et des richesses, principale source des guerres. Aimez donc la paix ; entourez de vos respects une ville dont, vainqueurs et vaincus, nous sommes également citoyens. Instruits par l'une et l'autre fortune, ne préférez pas une opiniâtreté qui vous perdrait à une obéissance qui vous sauve." Ils craignaient des rigueurs ; ce discours leur rendit le calme et la confiance.

Tacite - Livre IV, LXXIII-LXXIV

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